jeudi 6 avril 2023

Jeanne du Barry au Festival de Cannes

Le film Jeanne du Barry de Maïwenn, auquel nous avons eu le plaisir de collaborer, va faire l'ouverture du Festival de Cannes, le 16 mai prochain. Ce sera l'occasion de découvrir de nombreux et très beaux bijoux. Comme cette bague à portrait, créée dans l'esprit du XVIIIe siècle, ornée du profil de l'acteur Johnny Depp incarnant le roi Louis XV. Inspirée à la réalisatrice par cette photo d'une bague que le roi George III a offert à sa future épouse la princesse Charlotte de Mecklembourg-Strelitz, le 8 septembre 1761. Bague encore en possession de la famille royale britannique.






mercredi 5 avril 2023

Les bijoux de Lakmé


  La Bijouterie du Spectacle possède dans ses collections une boîte en bois portant l'inscription manuscrite Tiare de Lakmé. On ne l'ouvre que rarement et avec précaution. Dans sa boîte d'origine, se trouve une parure composée d'une tiare conique décorée de perles et de pierres en verroterie, d'un collier de perles blanches et dorées supportant des lotus de pierreries et de deux paires de bracelets en laiton doré. Tous ces bijoux ont été créés au printemps 1891 par la Maison Gutperle dont nous conservons une partie du fonds. On retrouve par ailleurs, dans les archives de cette Maison, l'enregistrement de cette commande accompagnée du dessin qui a servi à la fabrication du collier. Ces trois bijoux ont spécialement été réalisés pour la soprano suédoise Sigrid Arnoldson (1861-1943) pour son rôle-titre de Lakmé, le célèbre opéra de Léo Delibes.

Bijoux créés en 1891 pour la reprise de Lakmé à l'Opéra-Comique

Tiare créée pour Lakmé en 1891

Collier créé pour Lakmé en 1891

  Créé le 14 avril 1883 à l'Opéra-Comique de Paris, Lakmé, qui figure parmi les dix titres français les plus joués au monde, a connu un succès immédiat. En 1887, on prépare sa centième à la salle Favard. C'est alors que se produit une terrible tragédie. Le 25 mai, en pleine représentation du drame d'Ambroise Thomas Mignon, un incendie éclate, provoqué par l'éclairage au gaz de la scène. Très rapidement il embrase toute la salle, faisant quatre-vingt-quatre victimes dont quatorze membres de la troupe et du personnel. En attendant la reconstruction, l'Opéra-Comique s'installe provisoirement au Théâtre des Nations (actuel Théâtre de la Ville), place du Châtelet.

Registre des commandes de la Maison Gutperle, Collection Grafische Sammlung Stern

  A cette époque la jeune soprano Sigrid Arnoldson, 26 ans, qui commence à être connue, signe avec l'Opéra-Comique pour une nouvelle série de représentations de Mignon pour la saison 1887-1888. Léon Carvalho, le directeur de l'Opéra, songe déjà à elle pour une reprise de Lakmé. Durant l'hiver 1887, il lui fait rencontrer Léo Delibes, lequel, enchanté par sa prestation, décide de lui faire travailler lui-même le rôle.

  Mais le destin semble vouloir contrarier la retour de Lakmé à l'Opéra-Comique. Les années 1888-1891 sont en effet marquées par une longue succession de décès au sein de la troupe ayant participé à sa création. Souffrant de surmenage, Edmond Gondinet (co-auteur du livret de Lakmé) s'éteint en 1888. Léo Delibes (le compositeur), Claude Chenevière (ténor et interprète d'Hadji), Auguste Baille (chef de chant), Charles Ponchard (directeur de la scène), Jean-Baptiste Lavastre (décorateur), succombent tous durant l'année 1891. Jean-Alexandre Talazac, ténor et créateur du rôle de Gérald - l'amoureux de Lakmé - meurt à 39 ans, en 1892, au terme d'une longue maladie. Sigrid Arnoldson elle aussi n'est pas épargnée. Le 9 octobre 1887, Maurice Strakosch, son imprésario, décède brutalement d'une embolie après avoir consacré une partie de la journée à la faire répéter.

Sigrid Arnoldson dans le rôle de Lakmé
Photo Studio Nadar, 1891

  En 1891 l'Opéra-Comique est enfin prêt à reprendre Lakmé. Un contrat est signé avec Sigrid Arnoldson, qui connaît bien le rôle pour l'avoir joué avec succès en province et à l'étranger. Les répétitions débutent le 15 avril et se poursuivent jusqu'au 4 mai. A la demande de la soprano, on a repoussé la première au mercredi 6 mai. Mais la veille, coup de théâtre, son mari l'imprésario Alfred Fischhof se présente au théâtre et annonce qu'elle sera dans l'impossibilité de se produire le lendemain. C'est la panique. En toute hâte on fait répéter une jeune chanteuse, Jeanne Horwitz, qui par hasard se trouve sur place et a parfois interprété Lakmé. C'est cette dernière qui est sur scène le jour de la 100ème. La presse, étonnée, évoque une "indisposition" de Sigrid Arnoldson qui, au cours des représentations suivantes, restera irrémédiablement invisible. Le mystère ne sera jamais levé sur les causes réelles de cette étrange défection. On est tenté de faire le rapprochement avec le même événement arrivé huit ans auparavant, en 1883, lors de la création de Lakmé. Quelques jours après la première, la soprano d'origine américaine Marie van Zandt - qui a le rôle principal - informe la direction qu'elle est souffrante et qu'elle ne pourra pas jouer en soirée. Elle utilise semblable excuse deux semaines plus tard, alors que le soir-même elle est aperçue dans une soirée mondaine.

  Sigrid Arnoldson réapparait cependant sur la scène de l'Opéra-Comique en juin, non pas dans l'œuvre de Léo Delibes mais pour huit représentations de Mignon. Au mois de novembre, de retour en Suède, elle triomphe dans le rôle de Lakmé au Grand Opéra Royal de Stockholm. Le roi Oscar de Suède, qui a assisté au spectacle, l'invite dans sa loge pour lui remettre la rare décoration de l'ordre Litteris et ArtibusLe public la reverra enfin sur la scène de l'Opéra-Comique, le 4 mas 1892, où elle fera sa rentrée pour la 145ème de Lakmé.

Maxime Jourdan

Sigrid Arnoldson portant la tiare de Lakmé
Photo Studio Nadar, 1891

Sigrid Arnoldson portant la parure de Lakmé
Collection Bijouterie du Spectacle