Cette tragique journée du 14 mai 1610, reconstituée d’une manière assez nouvelle à la télévision, promettait d’être passionnante. Nous attendions surtout de voir les costumes et coiffures du XVIIe siècle restitués grâce à "une importante recherche iconographique" de la chef costumière, Amandine Catala.
Il faut dire que, un peu renseignés par les photos du tournage et une bande annonce en circulation depuis plusieurs mois, nous espérions que de ce côté-là cette œuvre allait être très novatrice. Ce que nous avons vu hier ne nous a malheureusement pas convaincu. Beaucoup de vêtements « sonnaient » un peu faux (couleurs, formes, matières). Combien d’entre eux ont été fabriqués spécialement pour ce tournage ? Avec quelle documentation ? On pouvait reconnaître de nombreux modèles anglais loués chez Angels The Costumiers, à Londres. Il ne s'agit pas, bien évidemment, de juger le travail d'Amandine Catala pour qui L'Assassinat d'Henri IV était, à notre connaissance, une première dans le domaine de la reconstitution historique. Une petite critique constructive nous a paru nécessaire, essentiellement limitée à l'aspect "costumes" de ce téléfilm au sujet duquel, au demeurant, il y aurait encore beaucoup à dire.
Venons-en maintenant à l'apparence vestimentaire d'Henri IV, ce 14 mai 1610. Voici quelques observations, à caractère anecdotique, et que nous serons sans doute les seuls à formuler. Dans ce film, le roi apparait habillé d'un pourpoint bleu à passements dorés, de chausses et de bottes noires. Or, les témoignages de ceux qui ont assisté à ses derniers instants, même s'ils sont assez pauvres en détails, nous apprennent que le jour de son assassinat Henri était vêtu d'un habit de satin noir, esgratigné *, sans passement. Nos recherches approfondies dans les comptes de son argenterie – pour une série d'articles à venir – confirment que la garde robe royale ne comptait, en 1610, aucun vêtement de couleur bleue. Le noir y tenait une place éminente, suivi par le gris, le brun et, plus modestement, le blanc. C'est donc un Henri IV, tout habillé de noir – comme il est représenté sur un tableau de Pourbus – qu'il aurait fallu montrer. Portant l'ordre du Saint-Esprit, sous la forme d'une croix en métal émaillé, suspendue à son cou par un ruban bleu, d'une part, et d'une autre croix en broderie d'or et d'argent, cousue au revers de son manteau. A l'extérieur, sur la tête (et non pas à la main) un chapeau de castor noir avec ou sans panache. Les mains protégées par des gants de peau (cerf, chamois, loup-marin…). Les bottes à entonnoir, qu'il porte tout au long du film, n'existent pas encore à cette époque. Henri IV n'enfile que des bottes souples en cuir de vache, moulant le mollet et la cuisse coupées au genouil (genou) garnies de velours et à trois semelles, ou à grandes genouillères et à quatre semelles. On s'étonne, par ailleurs, de le voir ainsi chaussé pour monter en carrosse. Il ne se fait botter que lorsqu'il va à cheval. Plus vraisemblablement, il porte des bas de soie noirs, assortis à ses chausses, et des souliers de maroquin de Flandre. Chaussures à bouts légèrement arrondis, ouvertes sur les côtés, dont le système d'attache - sur le dessus du pied - est couvert d'une rose de taffetas noir garni de dentelles. En descendant dans la cour du Louvre, le roi est enveloppé d'un manteau de velours ou de drap noir. Comme il fait beau ce 14 mai, il le retire avant de monter en voiture. Sous son pourpoint, il a aussi une chemise (en fine toile de Hollande) plissée aux manches et terminée au col par une fraise ou un collet de batiste. On sait que, peu après le décès du roi, le chirurgien Bérard lui retira cette chemise percée et sanglante et que Dominique de Vic, gouverneur de Calais, la demanda et l’emporta.
En ce qui concerne le personnel domestique que l’on voit autour du roi (habillé dans le téléfilm en jaune !) il était vêtu, en réalité, d’une livrée aux couleurs des Bourbons : incarnat (rouge), blanc et bleu.
Quant aux bijoux, le téléfilm aurait gagné à faire dans la simplicité. Pourquoi ces grosses chaînes et croix dorées portées par les ecclésiastiques ? Et ce curieux Ordre de la Toison d’or au cou d’Epernon ? Nous possédons l'inventaire complet des joyaux personnels de la reine, rédigé précisément au début de 1610. Les diamants y occupent une place prédominante puisqu'ils totalisent le chiffre, incroyable pour l'époque, de 11.538 pierres de toutes dimensions et formes. Elle possédait, entre autres, six colliers ornés de diamants, onze chaînes de formes variées, quatre enseignes de diamants, des croix, des chapelets, des bouquets, des bracelets, des pendants de ceintures, des boucles d'oreilles, des bagues, etc. A cela il convient d'ajouter 5878 perles, pour la plupart rondes et de belles dimensions. D'un point de vue historique, il eût été préférable de représenter l'épouse d'Henri IV avec un rang de grosses perles, comme on peut la voir sur beaucoup de tableaux et gravures de cette époque, plutôt que de la parer de colliers de modèles inconnus au début du XVIIe siècle.
A l’attention de Janine Garrisson qui confiait à propos de l’Assassinat de Henri IV : J'ai effectué plusieurs relectures du scénario; il y avait quelques détails erronés, mais cela n'allait pas plus loin qu'un revers de bottes mal tourné ou une expression anachronique nous signalons, en toute sympathie, quelques oublis. En 1610, le roi n’aurait pas dit venez dans mon bureau mais plutôt dans mon cabinet ou entrez en carrosse à la place de allez, au carrosse. Détail très peu connu : il était obligé de porter des lunettes pour lire. Enfin, à propos des scènes où on le représente mangeant avec ses courtisans, il faut savoir que, à l’exception de la reine (qui déjeune le plus souvent de son côté), Henri IV n’admet aucun de ses sujets à sa table ; ainsi le veut le protocole. Et quand il a des convives, ceux-ci s’installent autour d’une ou plusieurs tables séparées de la sienne.
* Egratigné : signifie donner une certaine façon à un tissu de soie ou de satin avec la pointe d’un fer. Dans le langage du gaufreur, c'est découper un tissu (satin ou taffetas) avec un petit canif ou encore, selon le glossaire de Victor Gay, c’est probablement en effiler les bords.
Frans Pourbus le jeune
3 commentaires:
Je suis d'accord avec vous et votre article (très érudit) m'a beaucoup intéressé. Ce docu-fiction a fait un score honnête : 17,2 % de part d'audience et 4,5 millions de téléspectateurs.
En tant qu'historienne spécialiste de la période, je confirme vos pires craintes, à savoir que ce film est bourré d'anachronismes et d'erreurs factuelles quoi qu'on fasse dire à Pr. Garrisson. Le lever du roi, l'audience où le roi reçoit des curés (c'est l'évêque qui s'occupe des réparations des toits des églises) et des bourgeois (le Châtelet pour Paris), le duel avec Biron, le ballet des filles dénudées, le complot d'Epérnon... Quant aux costumes, ceux des dames n'avaient que peu à voir avec les habits du début du XVIIe siècle, mais plutôt avec les modes du milieu du XVIe siècle (années 1560-1570). Idem pour les coiffures. Le score ne confirme que l'intérêt du public pour l'histoire, mais nullement sa qualité historique. Dernière remarque : aucun roi de l'histoire ne peut être un roi idéal ou parfait, tous sont d'abord des êtres humains... y compris Henri IV !
Je profite également de ce commentaire pour vous remercier de cet article érudit et de votre blog savant.
Chère Alexandra,
Nous sommes très heureux et très honorés de l'attention que vous portez à notre modeste blog. Votre point de vue sur ce docu-fiction est d'autant plus précieux que nous connaissons bien l'ensemble de vos travaux sur le portrait de la renaissance et que votre expertise, en la matière, est incontestable. Nous invitons d'ailleurs les lecteurs qui s'intéressent aux figures du XVIe siècle à aller visiter le très beau site que vous leur avez dédié : http://www.portrait-renaissance.fr/accueil.html
Au plaisir de vous lire.
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