lundi 29 mai 2023

 

A propos de la pièce de corps

de Marie-Antoinette


  De tous les bijoux qu'a pu porter la reine Marie-Antoinette, il en est un qui surpassait tous les autres : sa pièce de corps en diamants. Tant par ses dimensions imposantes que par le nombre et la valeur des pierres précieuses dont elle était composée. Qu'était exactement une pièce de corps ? C'était un ornement d'orfèvrerie, de la forme d'un long triangle isocèle renversé, destiné à décorer le devant du grand corps (bustier) du grand habit d'étiquette. Cette pièce, réalisée en diamants, était en général constituée d'une série de nœuds ou boutons de différentes tailles, placés les uns au-dessus des autres, chacun au centre d'une frise terminée à ses deux bouts par un nœud ou un gland. Le dessin n'était pas toujours le même, selon les modèles, et offrait parfois un décor plus complexe et moins symétrique. La pièce de corps était l'élément central d'une parure de grand corps dont faisaient aussi partie des nœuds d'épaule, une ceinture, des pompons pour les manches et un trousse-queue. Au lieu d'être conservée dans la chambre de la reine, comme tous ses bijoux, cette parure était rangée dans la garde robe avec le grand habit auquel elle était cousue.

  Il est difficile de préciser exactement à quelles années remonte la conception de ce type de bijou qui semble avoir fait son apparition en même temps que les grands habits d'étiquette. Il en est fait mention parmi les joyaux possédés par la dauphine Marie-Josèphe de Saxe (1731-1767), seconde épouse du dauphin Louis (1729-1765). En l'occurrence une pièce de corps en diamants et pierres précieuses qui avait été créée par le joaillier Jean-Baptiste Leblanc pour la précédente dauphine, Marie-Thérèse d'Espagne (1726-1746). Bijoux exceptionnel considéré comme le plus bel ouvrage de joaillerie de son temps.

Dessin de la pièce de corps de la dauphine réalisée par le joaillier Leblanc

  Dès son arrivée en France, en 1770, Marie-Antoinette reçut de Louis XV tous les bijoux de Marie-Josèphe de Saxe, dont la fameuse pièce de corps. L'ensemble était estimé à plus de 1 700 000 livres. Il n'est pas certain qu'elle ait porté ce devant de grand corps, passé de mode, préférant sans doute un modèle plus à son goût. Une lettre d'Ange-Joseph Aubert, joaillier de la Couronne, nous apprend qu'en décembre 1773 il avait renvoyé à Versailles le bout de la pièce de corps de la dauphine, qu'il avait fait réparer. Au début de l'année 1775, alors que Marie-Antoinette devenue reine séjournait à Fontainebleau, celui-ci note encore - dans son livre journal - qu'il est allé lui présenter le dessin d'une pièce de corps.

  Il n'existe aucune description, avant 1782, de la pièce de corps que portait la reine. On peut l'imaginer assez semblable à celle qu'Aubert avait livrée à Madame du Barry, en novembre 1773. Chef d'œuvre d'orfèvrerie composé de 1013 diamants, montés à jour, dont le joaillier avait fourni les deux tiers pour 77 695 livres. Notamment un brillant en forme de pendeloque, fort, net et cristallin, posé à la pointe de la pièce; 2 brillants parfaitement égaux, nets et cristallins au bout des deux grandes parties du haut; 2 brillants nets et blancs aux bouts des deux autres parties du haut; 165 brillants placés dans les bandes de la pièce et 492 autres pour compléter l'ensemble. Mais la favorite n'eut guère le temps d'en profiter. Un an plus tard, après la mort de Louis XV, le nouveau roi l'exila à l'abbaye de Pont-aux-Dames. Son premier visiteur fut son joaillier qu'elle avait appelé pour qu'il revende sa parure de grand corps, estimée 450 000 livres. Après avoir vainement tenté de la faire acheter par la Cour de Turin, Aubert réussit à la vendre à Marie-Joséphine de Savoie, l'épouse du comte de Provence, frère de Louis XVI.

  En août 1782, Marie-Antoinette chargea son joaillier de refaire entièrement sa pièce de corps. L'ancienne fut démontée et on en conserva que les plus belles pierres, soit 795 brillants. Il restait encore 9207 brillants pesant 691 carats, dont certains étaient égrisés et glaceux, qu'Aubert crédita à la reine pour 57 644 livres. Le livre journal du joaillier de la couronne précise que les 795 diamants de la nouvelle pièce de corps étaient très gros, tous à mordaches et charnières dessous, de très grosses rosettes au milieu des bandes et de forts nœuds à chaque bout des bandes, auxquels pendent des glands formés de chatons brisés par des anneaux. Outre 5000 livres pour le remontage de la nouvelle pièce de corps, on paya 2700 livres à l'orfèvre-joaillier Jean-Joseph Rouen, pour la monture. Sans oublier l'écrin pour la ranger, payé 84 livres.

  Il est difficile d'affirmer si c'est cette nouvelle pièce de corps qui fut portée par la souveraine jusqu'à la révolution. Elle fut certainement réparée ou modifiée au cours des années suivantes. Le 26 mars 1784, par exemple, on note à son sujet une dépense de 48 livres pour avoir fait remonter un morceau de la pièce de corps où tient le bouton d'en bas qui était cassé.

Dessin d'une pièce de corps (XVIIIe siècle)

  En 1789, les bijoux de Marie-Antoinette l'accompagnèrent quand la famille royale quitta le château de Versailles pour s'installer au palais des Tuileries. Ce semblant de vie de cour n'empêchait pas la reine de se parer, selon les circonstances, des plus belles pièces de son écrin. Le 27 mai 1790, pour la grande messe de la pentecôte célébrée dans la chapelle des Tuileries, son habit était enrichi par dix des plus beaux diamants de la couronne - dont le Sancy - à l'éclat desquels s'ajoutait celui de sa pièce de corps en diamants.

  Sentant que leur situation devenait de plus en plus précaire, Louis XVI et Marie-Antoinette ne virent bientôt plus d'autre solution que la fuite. En mars 1791, en secret, la reine commença à préparer son départ. Aidée par Madame Campan, sa première femme de chambre, elle rassembla et rangea dans une boite tous ses bijoux de valeur. On n'oublia pas la pièce de corps de diamants qu'il était d'usage de laisser dans la garde-robe avec les autres bijoux du grand habit. Madame Campan demanda à la première femme des atours de la lui remettre discrètement. Ces préparatifs étant achevés, la femme de chambre de la reine dressa un inventaire des joyaux qui avaient été emballés avec, en tête de liste, la fameuse pièce de corps. Elle la décrit ainsi : Article 1er Une pièce de Corps composée de 7 boutons dont un en forme de poire, 6 rangs de chatons composés de 136 chatons et 12 glands, le tout en diamants.

  Quelques jours plus tard, emballée dans une toile cirée, la boîte contenant les diamants de Marie-Antoinette quitta clandestinement la France. Le comte de Mercy-Argenteau, à qui elle avait été confiée, la déposa au Trésor Royal, à Bruxelles, le mardi 15 mars 1791. Presque oublié pendant plusieurs années, le fabuleux trésor finit par être rapatrié à Vienne, en Autriche, où il fut remis à Marie-Thérèse, fille et héritière de Marie-Antoinette. Dès lors, on perd la trace de la plus grande partie de ces bijoux. Certainement dispersés, vendus ou transmis par héritage. Il y a peu de chance qu'on retrouve un jour la pièce de corps de la reine. La mode du XIXe siècle n'étant plus à ce genre de parure, il est probable qu'elle fut démontée et ses diamants vendus.

Maxime Jourdan



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